Homélie - Pâques 2016 : Sancta Novitas

Il est beaucoup question de nouveauté dans la liturgie pascale. La louange du cierge pascal, au début de l’office, nous parle de « l’aube nouvelle d’un monde rajeuni » dans la Pâque du Christ. La bénédiction de l’eau qui précède les baptêmes demande de « renouveler notre nature pécheresse dans le bain de la nouvelle naissance ». La prière d’ouverture de la messe du jour de Pâques demande, elle, que l’Esprit Saint « fasse de nous des hommes nouveaux, pour que nous ressuscitions dans la lumière de la vie ». Par –dessus tout une des admirables oraisons de la veillée, celle qui conclut les lectures de l’ancien testament et qui provient des anciens sacramentaires, de la liturgie des premiers siècles, dit ceci : « Que le monde entier reconnaisse la merveille : ce qui était abattu est relevé, ce qui avait vieilli est rénové, et tout retrouve son intégrité première en Celui qui est le principe de tout, Jésus-Christ notre Seigneur ». Une autre très antique oraison le résume d’un seul mot : elle demande que nous soyons en capacité d’accueillir la « sainte nouveauté » : capaces sanctae novitatis. 

Mais qu’est-ce que la nouveauté de Pâques ? Nous ne nous faisons peut-être pas une idée très juste de la nouveauté. Nous la confondons avec l’éphémère. Ce qui est « neuf » pour nous aujourd’hui, c’est ce qui sera vieux demain ; ce sont les produits de notre monde de la consommation et de la surinformation : une nouvelle technologie rend obsolète aujourd’hui ce qui était à la pointe hier, comme pour nos ordinateurs et nos téléphones portables ; une nouvelle information chasse immédiatement l’autre, alors que les médias ne parlaient que de cela la veille. Ce n’est pas cette nouveauté mobile, qui n’est qu’une fuite en avant, que la grâce de Pâques veut nous offrir. La nouveauté de Pâques, c’est justement que le Christ nous fait entrer dans le définitif. « Ressuscité des morts, le Christ ne meurt plus. Sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. Car il est mort, et c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; il est vivant, et c’est pour Dieu qu’il est vivant. » Comme le dit la liturgie, le Christ vient nous rendre notre « intégrité première » ; car c’est le péché, au fond, qui nous entraîne dans cette fuite en avant, qui nous fait croire que parce nous aurons en mains des produits « nouveaux », parce que nous éprouverons des sensations « nouvelles », nous échapperons à la dégradation et à la mort. Mais tout ce qui est du péché – l’orgueil, la violence, l’indifférence, la domination – est toujours déjà vieux ; et les vertus de l’évangile – l’amour, la miséricorde, le pardon n – sont toujours neuves, fraîches, inépuisables, comme une source qui se renouvelle toujours et qui renouvelle ceux qui s’en approchent. 

Ils vont donc entrer dans la nouveauté de Pâques, la sainte nouveauté de l’Evangile, ceux qui vont recevoir le baptême aujourd’hui. Prions pour eux, pour qu’ils accueillent du fond du coeur cet amour du Seigneur qui les accompagnera toujours, qui pourra être en eux cette force de rénovation permanente. Et que la grâce qu’ils vont recevoir ravive en nous la même grâce, celle de notre baptême, celle qui peut nous donner, jusqu’au dernier jour, d’accueillir la nouveauté merveilleuse que le Christ nous offre, si seulement nous ouvrons nos coeurs à son amour. 

L’abbé B. Martin

Communiquons Hors Série - Pâques 2016


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Homélie du Vendredi 25 Mars 2016 - Vendredi Saint

Voici l’homme. Ce n’est pas sans raison que l’évangéliste a rapporté ces mots de Pilate, leur donnant une dimension révélatrice, prophétique, insoupçonnée de celui qui les prononçait. Voici l’homme. Et si ces mots étaient la réponse à la question que tout homme, à un moment ou à un autre de son existence, se pose, plus ou moins douloureusement ? Si cet homme, à ce moment, nous révélait justement ce que c’est que l’homme, et qui est l’homme véritable ? 

Voici l’homme. Ce n’est pas l’homme se prenant si follement pour le maître de l’univers ; l’homme enivré de sa science et de ses capacités, qui triture et manipule la création ; ce n’est pas l’homme qui croit que tout ce qui est techniquement possible est moralement acceptable. 

Voici l’homme. Ce n’est pas l’homme cupide et orgueilleux, celui qui est prêt à tout pour arriver à satisfaire ses désirs et à combler ses ambitions, l’homme pour qui la fin justifie toujours les moyens. 

Voici l’homme. Ce n’est pas l’homme violent et meurtrier, celui qui n’épargne même pas le sang de ses semblables, celui qui va jusqu’à justifier ses crimes au nom de Dieu. 

Voici l’homme. Cet homme devant Pilate, c’est l’homme des douleurs. L’homme sacré dans le mystère de sa pauvreté, de ses souffrances, du mal qui le frappe ; mais aussi l’homme plus grand que l’injustice qu’il subit, l’homme libre alors que ses bourreaux sont esclaves, l’homme qui rend témoignage à la vérité, même au prix de sa vie. 

Voici l’homme. Cet homme devant Pilate, c’est aussi l’homme tel qu’il est sorti des mains de Dieu, l’image et le resplendissement de la substance du Père. L’homme tel qu’il serait sans le péché, dans l’innocence de son enfance, dans la splendeur de sa maturité, dans la sérénité de sa vieillesse. 

« Mon Dieu, prenez-moi tel que vous m’avez fait et tel que je me suis défait, priait le philosophe Gustave Thibon : Ayez pitié en moi de votre image ». 
Placés ce soir devant Celui en qui se révèle tout ce qui est de l’homme, demandons-lui d’être ainsi remodelés à Son image. Ainsi parle la liturgie de ce jour : « Accorde-nous d’être semblables à ton Fils : du fait de notre nature, nous avons dû connaître la condition du premier homme, qui vient de la terre ; sanctifie-nous par ta grâce, pour que nous connaissions désormais la condition de l’homme nouveau qui appartient au ciel.»[1]

L'abbé B. Martin

[1]Office du Vendredi-Saint, collecte

Homélie du Jeudi 24 Mars 2016 - Jeudi Saint

Cela est vrai pour chaque eucharistie, mais la liturgie du Jeudi Saint met l’accent, d’une manière toute particulière, sur « l’aujourd’hui » du mystère qui est célébré. « La nuit qu’il fut livré, c'est-à-dire aujourd’hui » « la veille du jour où il devait souffrir pour notre salut, c'est-à-dire aujourd’hui »[1]. La Sainte Cène que nous célébrons ce soir nous rappelle d’une manière plus particulière, plus forte, que « chaque fois que nous célébrons ce sacrifice en mémorial, c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit ».[2] Le Catéchisme de l’Eglise Catholique le souligne à la suite du Concile de Trente : « Le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice : c’est une seule et même victime, c’est le même qui offre maintenant par le ministère des prêtres qui s’est offert lui-même alors sur la croix ».[3] Habitués que nous sommes à la célébration eucharistique, nous ne nous rendons pas compte, ou si peu et si mal , de ce que cela signifie : « Le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice » … Au début des années 1920, le jeune écrivain franco-américain Julien Green, fraîchement converti de l’anglicanisme, découvrait en même temps l’eucharistie catholique et l’indifférence pratique de ceux qui y assistaient ; il écrivait ces mots, un peu cruels, mais au fond assez justes : « Les personnes qui reviennent de la messe parlent et rient ; elles croient qu’elles n’ont rien vu d’extraordinaire. Elles ne se sont doutées de rien parce qu’elles n’ont pas pris la peine de voir […] Elles reviennent du Golgotha et elles parlent de la température »[4] Nous avons encore beaucoup à faire pour vraiment réaliser intérieurement tout ce qui s’accomplit en chaque eucharistie. En même temps la liturgie du Jeudi Saint, à travers l’évangile qui vient d’être proclamé et le geste du lavement des pieds, souligne aussi que toute eucharistie doit se prolonger par les gestes de l’humble service : Celui dont nous proclamons, en chaque eucharistie, la mort, la résurrection, et la présence à son Eglise jusqu’à la fin des siècles, veut aussi être présent « en chacun de ces petits qui sont ses frères ». « Chacun de vous s’attend à recevoir le Christ assis au ciel : voyez-le d’abord gisant sous les portiques ; voyez-le souffrant la faim et froid, voyez-le indigent et étranger », disait Augustin ; « En nous, le Christ est encore pauvre, le Christ est encore pèlerin, le Christ est malade, le Christ est emprisonné. » [5]

Je n’aurai garde d’oublier le ministère des diacres, qui est précisément de nous rappeler les gestes de l’humble service. Mais au centre de l’eucharistie, il y a d’abord le ministère des prêtres. Ainsi l’entendons-nous dans la préface de la Messe Chrismale : « C’est lui, [le Christ], qui choisit, dans son amour pour ses frères, ceux qui, recevant l’imposition des mains, auront part à son ministère. Ils offrent en son nom l’unique sacrifice du salut à la table du banquet pascal ; ils auront à se dévouer au service de ton peuple pour le nourrir de ta Parole et le faire vivre de tes sacrements ; ils seront de vrais témoins de la foi et de la charité, prêts à donner leur vie comme le Christ pour leur frères et pour toi ». Ces paroles expriment une mission très haute ; elles ne font que mieux ressortir les insuffisances, les faiblesses, les trahisons qui peuvent survenir. Les médias, dans les semaines écoulées, se sont fait un écho complaisant de certaines de ces fautes. Même s’il est facile de discerner, derrière ces attaques trop bien concertées, le désir d’atteindre, à travers ses responsables, l’Eglise et tout ce qu’elle représente, il ne faut pas refuser de reconnaître les manquements. Il faut avoir une compassion infinie pour les victimes, et pour tous ceux que le comportement d’hommes d’Eglise peut avoir blessés, choqués, meurtris. L’Église elle-même est blessée, choquée, meurtrie, par les fautes de ses fils. Mais il faut rappeler aussi que les fautes et les insuffisances des hommes ne sauraient entamer la vérité de l’Évangile et sa force de salut. Julien Green, à nouveau, découvrant en même temps la plénitude du catholicisme et l’effrayante médiocrité de ses ministres, écrivait encore ceci : « À parler très exactement, il n’y a pas de mauvais prêtres, il y a des hommes mauvais qui sont prêtres, et qui sont plus mauvais que d’autres parce qu’ils sont prêtres ; mais le prêtre qui est en eux, c’est Jésus-Christ ».[6]

C’est la présence du Christ, unique prêtre, unique sanctificateur, que nous sommes donc appelés à découvrir à travers les pauvres gestes humains, accomplis par de pauvres hommes, toujours insuffisants en comparaison de la grandeur de ce qu’ils accomplissent. Mais dans chaque eucharistie, si pauvre et pécheur que soit le ministre qui la célèbre, le Christ est présent, et « c’est l’œuvre de notre rédemption qui s’accomplit ». Nous, prêtres, demandons simplement de ne pas faire écran ; malgré notre opacité d’hommes pécheurs, de laisser quand même transparaître la grâce ; de laisser se réaliser à travers nous, malgré nous quelquefois, le « miracle de nos mains vides qui donnent ce qu’elles ne possèdent pas », selon le mot si juste de Bernanos. 

Et vous, frères et sœurs, priez pour vos prêtres. Saints ou pécheurs, ce sont vos prêtres, et c’est par eux que le Christ se rend présent à vos vies. Priez pour que leurs vies soient moins indignes des mystères qu’ils célèbrent, des « trésors qu’ils portent dans des vases d’argile ». Priez pour qu’ils soient « de vrais témoins de la foi et de la charité ». Et priez pour les vocations. Si bafoué et sali qu’il puisse être – et parfois par ses propres représentants – si attaqué et contesté qu’il soit, sans le ministère des prêtres il n’y a pas d’Église. Et pour les fils des hommes il n’y a pas non plus de vocation plus belle et plus forte que de vouloir être, simplement, prêtre de Jésus-Christ.

L'abbé B. Martin

[1] Jeudi Saint, Prière Eucharistique III ou I 
[2] Jeudi Saint, prière sur les offrandes
[3] CEC, 1367 ; Concile de Trente, Denzinger 1743
[4] Julien Green, Pamphlet contre les catholiques de France, (1924), 39-40. Œuvres …Pléiade, t. I, p. 885
[5] Sermon 25, 8 ; Commentaire sur les psaumes, Ps. 136.

[6] Julien Green, Id. , 77. Œuvres …Pléiade, t. I, p. 891

Communiquons n°277 - Dimanche 13 Mars 2016

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