Conférence de Carême du 15 Mars - Christian Ratrema

HUMANAE VITAE, UNE ENCYCLIQUE PROPHETIQUE ET CONTESTEE


Nous sommes dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus proclame qu’il est le Pain de vie : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et moi, je le ressusciterai au dernier jour ». Les auditeurs sont choqués ! Comment cet homme peut-il donner sa chair à manger ? Les disciples s’insurgent : « Cette parole est trop dure ! qui peut l’entendre ? » Aujourd’hui, ils diraient. C’est « inaudible » ! « Irrecevable » ! De nombreux disciples décident de s’en aller. Prenant acte de leur défection, Jésus s’adresse aux apôtres : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » Simon-Pierre répond, au nom des Douze : « à qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »

L’histoire se répète le 25 juillet 1968, quand le Bienheureux Pape Paul VI publie l’encyclique Humanae Vitae, « en vertu du mandat que le Christ Nous a confié » (HV6), précise-t-il. Il subit la même incompréhension, la même contestation, la même défection. Il fait même la « une » de Paris Match : « Le pape est contre la pilule » ! Très mal reçue, Humanae Vitae « devint instantanément l’encyclique la plus controversée de l’histoire, (…) une véritable levée de boucliers s’ensuivit, ainsi que la plus vaste rébellion publique vis-à-vis des enseignements pontificaux depuis des siècles ». (G. Weigel, Jean Paul II, témoin de l’espérance, p 261-262). Pour la sociologue Danièle Hervieu-Léger : « c’est avec Humanae Vitae que les catholiques se sont radicalement écartés du Vatican en se disant : « Le pape peut dire ce qu’il veut dans ce domaine, je n’en tiendrai plus compte. »

Trois jours après la publication de l’Encyclique, le cardinal Martin vint faire part au Pape de son trouble devant l’ampleur de la contestation. Paul VI lui répondit : « Vous depuis trois jours, moi depuis quatre ans ! C’est mon Gethsémani ! »

Avant d’aborder le document lui-même, je vous propose d’écouter Paul VI, lors de son allocution du mercredi qui suit la publication de l’encyclique. Avec la simplicité familière de cet entretien hebdomadaire, il confie aux fidèles les sentiments qui l’ont guidé pour accomplir son mandat reçu du Christ. La citation est assez longue, mais elle nous donne une idée de la complexité, de la gravité et de l’ampleur des questions sur lesquelles il devait se prononcer. Et qui débordent largement la question de la contraception. L’occasion nous est donnée de nous mettre à l’écoute de son cœur de Père et de Pasteur.

« Notre premier sentiment fut celui de Notre grave responsabilité. Il Nous a fait entrer et demeurer au cœur de la question durant les quatre années consacrées à l'étude et à l'élaboration de cette encyclique. Nous vous confierons que ce sentiment Nous a fait beaucoup souffrir spirituellement. Jamais Nous n'avons senti comme en cette circonstance le poids de Notre charge. Nous avons étudié, lu, discuté autant que Nous avons pu, et Nous avons aussi beaucoup prié. (…) Nous devions répondre à l'Eglise, à l'humanité entière; Nous devions évaluer (…) une tradition non seulement séculaire, mais récente, celle de Nos trois prédécesseurs immédiats; Nous étions obligé de faire Nôtre l'enseignement du Concile que Nous avions Nous-même promulgué; Nous étions enclin à accueillir, jusqu'à la limite où il Nous semblait pouvoir aller, les conclusions - bien que de caractère consultatif - de la commission instituée par le Pape Jean XXIII et élargie par Nous-même, sans perdre de vue notre devoir de prudence; Nous n’ignorions pas les vives controverses suscitées par cette question si importante (…); Nous entendions les voix puissantes de l'opinion publique et de la presse; Nous écoutions les voix plus faibles, mais plus pénétrantes pour Notre cœur de père et de pasteur, de tant de personnes, de femmes respectables spécialement, angoissées par ce problème difficile et par leur expérience encore plus difficile; Nous lisions les rapports scientifiques sur les alarmantes questions démographiques du monde, étayées par des études d'experts et par des programmes gouvernementaux; Nous recevions de toute part des publications, dont quelques-unes inspirées par l'examen de certains aspects scientifiques du problème, d'autres par des considérations réalistes de situations sociologiques nombreuses et graves, ou encore par celles, si impérieuses aujourd'hui, des changements qui se produisent dans tous les secteurs de la vie moderne. Combien de fois avons-Nous eu l'impression d'être comme submergé par cette accumulation de documents, et combien de fois — humainement parlant — avons-Nous ressenti combien Notre pauvre personne était dépassée par ce redoutable devoir apostolique de Nous prononcer à ce sujet ! Combien de fois avons-nous tremblé devant le dilemme d'une condescendance aux opinions courantes, ou d'une sentence mal supportée par la société moderne, ou qui soit arbitrairement trop lourde pour la vie conjugale ! Nous avons consulté en particulier beaucoup de personnes de haute valeur morale, scientifique et pastorale; et invoquant les lumières du Saint-Esprit, Nous avons mis Notre conscience dans la pleine et libre disposition à la voix de la vérité, cherchant à interpréter la règle divine que Nous voyons surgir de l'exigence intrinsèque de l'amour humain authentique, des structures essentielles de l'institution du mariage, de la dignité personnelle des époux, de leur mission au service de la vie, comme de la sainteté du mariage chrétien. Nous avons réfléchi sur les éléments stables de la doctrine traditionnelle de l'Eglise, spécialement sur les enseignements du récent Concile. Nous avons pesé les conséquences de l'une ou de l'autre décision, et Nous n'avons plus eu de doute sur Notre devoir de Nous prononcer dans les termes exprimés par la présente encyclique. »


En publiant Humanae Vitae, Paul VI tient la promesse faite au Concile de se prononcer lui-même sur la régulation des naissances. Portée dans la douleur, Humanae Vitae a été écrite à l’écoute de Dieu, alors qu’avant même sa publication, la contestation prenait les devants. Car les opposants s’organisaient pour avoir une encyclique à l’arraché – leur encyclique !

Pour Benoît XVI, Humanae Vitae « constitue un geste significatif de courage en réaffirmant la continuité de la doctrine et de la tradition de l'Eglise. » Pour sa part, le Pape François a salué le caractère prophétique de Paul VI. Je cite : « Le bienheureux Paul VI (…) connaissait bien les difficultés qu’il y avait dans chaque famille, c’est pourquoi sa Lettre encyclique était si miséricordieuse pour les cas particuliers. Mais il regardait plus loin, il regardait les peuples de la terre et il a vu cette menace de destruction de la famille par la privation d’enfants. Paul VI était courageux, c’était un bon pasteur et il mettait en garde ses brebis contre les loups qui approchaient. »

Permettez-moi de vous parler des loups pour mieux faire comprendre la sollicitude du pasteur que fut le bienheureux Paul VI. Quelques mois après Mai 68, en interdisant la pilule, le Pape a commis un acte d’autorité qui allait à contre-courant du mouvement contestataire des années 60, mouvement qui culmine au cœur de ce que l’écrivain Jean-Claude Carrière appelle « Les années d’utopie » (1968-1969). Je le cite :

« Au cœur de l’utopie, bien caché, le plaisir. Le plaisir sexuel que la mise en vente de la pilule contraceptive, à partir de 1966, semblait faciliter (…). Un plaisir pour le plaisir, supposant des rapports nouveaux entre femmes et hommes, un nouvel hédonisme qui brillait dans tous les slogans. Un désir enfin accompli. Une « libération sexuelle » (…). L’idée que l’épanouissement sexuel était une pratique révolutionnaire fut l’illusion majeure de ce mois de printemps. (…) Cette illusion balayait tous les arguments raisonnables, tous les faits d’évidence (…). Elle affichait une foi délirante en un désordre nouveau, où par miracle des individus accomplis formeraient une masse cohérente, par l’effet magique de la révolution. » (Jean-Claude Carrière, Les années d’utopie, Plon, 2003, p 67-68)

Parmi les maîtres à penser du moment, Sartre - « Le marxisme est l’horizon indépassable de l’histoire. » - ; et Marcuse, pour qui « la nouvelle génération participe à sa façon à la lutte des classes, (…) sur le front de la lutte menée contre leurs aînés (…). Cette jeunesse en révolte contre la morale victorienne, puritaine et formaliste (…), lui oppose un comportement lié aux instincts, aux désirs ». (Les jeunes et la contestation, Hebert Marcuse, Bibliothèque Laffont des grands thèmes, 1976, p 142 ; 30-31)

Les « jeunes » rejetaient l’autorité, qui faisait partie du système aliénant l’épanouissement des individus. Ils rejetaient l’ordre formel trop étouffant de la société et réclamaient le droit à la sensibilité et l’imagination. D’où les slogans surréalistes de Mai 68 : Nos désirs sont la réalité. Tout le pouvoir à l’imagination ! Soyons réalistes, demandons l’impossible !

La lutte des classes a embarqué les jeunes dans une révolte contre les adultes et les femmes dans une révolte contre la domination séculaire des hommes, comme l’explique le « Guide de la contraception et de l’amour sans risques » du Planning familial : « Les années 1960 ont vu naître une des plus grandes conquêtes de notre siècle : la contraception. La maîtrise de la fécondité a bouleversé largement la condition humaine en dissociant la procréation de la sexualité. […] On a alors observé une véritable mutation dans les mœurs. » (Syros, 1993, p 13)

Dans un petit opus sorti en 1973, une promotrice du Planning familial en France renchérit. Je cite : « La découverte de moyens efficaces et sans danger, permettant de dissocier l’acte sexuel de la procréation, a une portée véritablement révolutionnaire. Elle oblige en effet à remettre en question les rapports entre les sexes. Pendant vingt siècles, le mâle a été seul maître de la procréation ; aujourd’hui sa compagne peut en décider elle aussi. » (Tout savoir sur la contraception, Catherine Vallabrègue, Dominique Dallayrac, Filipacchi, 1973, p 5)

Tout cela pour dire que la libération sexuelle des années 1960-1970 a été présentée comme une libération de la femme ! Et grâce à qui ? La contraception ! L’idéologie de la lutte des sexes va rendre très difficile la reconnaissance de la complémentarité homme/femme dans leur responsabilité commune de la maîtrise de la régulation des naissances. De la même façon, la lutte des jeunes contre leurs aînés - le refus de l’autorité des maîtres, le rejet de la morale de papa - rendra difficile l’accueil de la sagesse des anciens ! Paul VI part donc avec un double handicap pour la réception d’Humanae Vitae par le grand public…

Pardonnez-moi d’insister, mais c’est important pour comprendre. Voici comment le MLAC retrace son histoire sur un site internet. MLAC ; Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception ; toujours l’étendard de la « liberté » ! « Le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) contribue depuis 1970, par des actions spectaculaires et provocatrices, utilisant la chambre d’écho que représentent les médias, à dissocier dans les esprits procréation et sexualité. »

La contraception, c’est la technique qui a permis de « dissocier l’acte sexuel de la procréation ». La contraception, c’est une technique ! Dissocier « dans les esprits » la procréation de la sexualité, c’est ce qu’on appelle la mentalité contraceptive. Diffuser cette mentalité, c’est la mission que s’est donnée le Planning Familial, non seulement en France, mais dans le monde entier. La contraception, c’est « la liberté » ; « c’est l’amour sans risques ». Ces mots d’ordre, relayés par tous les médias, ont imprégné et continuent aujourd’hui d’imprégner les mentalités… Le leadership intellectuel de la révolution sexuelle et l’industrie pharmaceutique vont se renforcer mutuellement, au point de déclencher une déflagration telle qu’elle « marqua la vie de générations entières », selon l’analyse de B. XVI.

En mettant le doigt sur la différence anthropologique fondamentale qui existe entre la contraception et le recours aux rythmes du cycle féminin, avec ses périodes fécondes et infécondes - ce que Benoît XVI appelle « le respect des temps de la personne aimée » -, Humanae vitae va heurter de plein fouet le modèle subversif de la « sexualité libérée » du « fardeau » de la transmission de la vie. La fine pointe de l’enseignement de Paul VI se trouve aux n° 11 et 12 de l’encyclique, et s’oppose directement - et point par point - à la mentalité contraceptive : « L'Eglise (…) enseigne que tout acte matrimonial doit rester ouvert à la transmission de la vie. » (HV 11) « Cette doctrine, plusieurs fois exposée par le Magistère, est fondée sur le lien indissoluble que Dieu a voulu et que l'homme ne peut rompre de son initiative entre les deux significations de l'acte conjugal : union et procréation. En effet, par sa structure intime, l'acte conjugal, en même temps qu'il unit profondément les époux, les rend aptes à la génération de nouvelles vies, selon des lois inscrites dans l'être même de l'homme et de la femme. » (HV 12)

Paul VI dit NON à la dissociation entre l’union des corps et l’ouverture à la vie ! « Que ton OUI soit OUI, que ton NON soit NON » (Mt 5, 37). Le NON de Paul VI est clair et sans ambiguïtés ! Cependant, comme il l’explique dans son audience du mercredi, Humanae Vitae « n'est pas seulement la déclaration d'une loi morale négative - c'est-à-dire l'interdiction de tout acte se proposant de rendre impossible la procréation (n. 14) - c’est d’abord et surtout la présentation positive de la moralité conjugale, par rapport à sa mission d'amour et de fécondité « dans la vision intégrale de l'homme et de sa vocation non seulement naturelle et terrestre, mais aussi surnaturelle et éternelle » (n. 7).

Sartre s’est trompé ! L’horizon ultime de l’histoire, ce n’est pas le marxisme ni aucune autre idéologie séculière, c’est la vie éternelle ! Certains ont accusé Paul VI de trahir le Concile Vatican II. Balivernes ! Il suffit pour s’en convaincre de relire les n° 47 à 52 de la constitution Gaudium et Spes qui traite de la dignité du mariage et de la famille. Et en particulier le n° 51 qui traite de « l’amour conjugal et du respect de la vie humaine. » « l’Église rappelle qu’il ne peut y avoir de véritable contradiction entre les lois divines qui régissent la transmission de la vie et celles qui favorisent l’amour conjugal authentique. Lorsqu’il s’agit de mettre en accord l’amour conjugal avec la transmission responsable de la vie, la moralité du comportement ne dépend pas de la seule sincérité de l’intention et de la seule appréciation des motifs ; mais elle doit être déterminée selon des critères objectifs, tirés de la nature même de la personne et de ses actes, critères qui respectent, dans un contexte d’amour véritable, la signification totale d’une donation réciproque et d’une procréation à la mesure de l’homme ; chose impossible si la vertu de chasteté conjugale n’est pas pratiquée d’un cœur loyal. En ce qui concerne la régulation des naissances, il n’est pas permis aux enfants de l’Église, fidèles à ces principes, d’emprunter des voies que le Magistère, dans l’explication de la loi divine, désapprouve. Par ailleurs, que tous sachent bien que la vie humaine et la charge de la transmettre ne se limitent pas aux horizons de ce monde et n’y trouvent ni leur pleine dimension, ni leur plein sens, mais qu’elles sont toujours à mettre en référence avec la destinée éternelle des hommes. » (GS 51)

Avec la vie éternelle en ligne de mire, Paul VI s’inscrit dans la lignée et de Saint Pierre et du Concile. « Le vrai bien de l’homme » (HV 18), qui est le souci premier de Paul VI, c’est la vie divine et éternelle, que tous les hommes en général, et les époux en particulier, sont appelés à partager, et ce, dès ici-bas ! Raison pour laquelle le Pape déclare d’entrée de jeu que « le très grave devoir de transmettre la vie humaine, fait des époux les libres et responsables collaborateurs du Créateur » (HV1). En s'adressant d’emblée aux époux, Paul VI affirme aussi, implicitement, que l'exercice de la sexualité n'est légitime que dans le cadre du mariage. Le Dieu auquel ils sont appelés à collaborer n’est pas un idéal inaccessible, mais l’Emmanuel - « Dieu avec nous », dans tous les actes de notre vie quotidienne ; jusque dans le lit conjugal, où les époux chrétiens exercent – là aussi – leur sacrement de mariage, destiné à leur sanctification mutuelle. « Je te reçois comme épouse et je me donne à toi. »

Le synode sur la famille en octobre dernier, nous invite à redécouvrir le message de Humanae Vitae, à redécouvrir, je cite, que « l’ouverture à la vie est une exigence intrinsèque de l’amour conjugal. Il faut partir de l’écoute des personnes et donner raison de la beauté et de la vérité d’une ouverture inconditionnelle à la vie comme ce dont l’amour humain a besoin pour être vécu en plénitude. »

Pour benoît XVI, la clef de compréhension de Humanae Vitae, c’est l’amour : « L'amour conjugal révèle sa vraie nature et sa vraie noblesse quand on le considère dans sa source suprême, Dieu qui est amour, " le Père de qui toute paternité tire son nom, au ciel et sur la terre ". Le mariage n'est donc pas l'effet du hasard ou un produit de l'évolution de forces naturelles inconscientes: c'est une sage institution du Créateur pour réaliser dans l'humanité son dessein d'amour. Par le moyen de la donation personnelle réciproque, qui leur est propre et exclusive, les époux tendent à la communion de leurs êtres en vue d'un mutuel perfectionnement personnel pour collaborer avec Dieu à la génération et à l'éducation de nouvelles vies. » (HV8). Il nous faut redécouvrir la capacité d’émerveillement de l’amour, celui d’Adam devant Eve dans la Genèse : « voici l’os de mes os et la chair de ma chair ». Redécouvrir l’émerveillement d’Eve, quand l’enfant paraît, au chapitre 4 : « Adam s’unit à sa femme Eve. Elle conçut et enfanta Caïn. Et elle dit : « j’ai acquis un homme, avec l’aide du Seigneur ! » Merveille que fit le Seigneur ! «

L’amour conjugal. Paul VI en développe les caractéristiques au n° 9. C’est d’abord un amour pleinement humain, c’est-à-dire à la fois corporel et spirituel, où - et là, je cite Jean Paul II -, « le corps et l'âme sont indissociables : dans la personne, dans l'agent volontaire et dans l'acte délibéré, ils demeurent ou se perdent ensemble. On peut alors comprendre le vrai sens de la loi naturelle : elle se réfère à la nature propre et originale de l'homme, à la « nature de la personne humaine », qui est la personne elle-même dans l'unité de l'âme et du corps. » (VS 49, 50). La loi naturelle ne relève donc pas de la biologie. « Mise dans nos âmes par le Créateur, la raison peut en avoir une connaissance vraie et certaine, il y a cependant bien des obstacles qui l’empêchent d’user efficacement et avec fruit de son pouvoir naturel, car les vérités qui concernent Dieu et les hommes dépassent absolument l’ordre des choses sensibles, et lorsqu’elles doivent se traduire en action et informer la vie, elles demandent qu’on se donne et qu’on se renonce. L’esprit humain, pour acquérir de semblables vérités, souffre difficulté de la part des sens et de l’imagination, ainsi que des mauvais désirs nés du péché originel. De là vient qu’en de telles matières les hommes se persuadent facilement de la fausseté ou du moins de l’incertitude des choses dont ils ne voudraient pas qu’elles soient vraies. » (Pie XII, Humani Generis (1950) ; CEC n°37).

En 68, l’imagination, les sens, les désirs sont la réalité. Et ceux qui ont dénigré Paul VI n’ont pas remarqué que c’est la raison qui justifiait ses positions. C’est pourquoi HumanaeVitae ne peut être comprise que si est revalorisée le rôle de la raison dans la quête du sens ultime de la vie et de l’amour !

Paul VI dit que « l’amour conjugal est un amour total, c'est-à-dire une forme toute spéciale d'amitié personnelle. Qui aime vraiment son conjoint ne l'aime pas seulement pour ce qu'il reçoit de lui, mais pour lui-même, heureux de pouvoir l'enrichir du don de soi. » Se donner, c’est fort ! Si, pour de justes raisons, clairement établies dans l’encyclique, le couple décide, en conscience, de différer l’accueil d’un nouvel enfant, alors, se renoncer pour se donner, c’est encore plus fort ! Si ce renoncement se base intellectuellement sur la connaissance biologique des rythmes de fécondité de la femme (l’homme lui, est toujours fécond), vivre ce renoncement, en pratique, relève de la chasteté, d’une attitude du cœur. La chasteté, ce n’est pas la continence, ce n’est pas faire ceinture pour faire ceinture, c’est vivre une sexualité intégrée à la personne, par la maîtrise la tyrannie de l’instinct et des passions par la raison et la volonté (HV17). Pour un don de soi pleinement libre ! Un dernier point : « l’amour conjugal est fidèle, exclusif, et fécond. Il ne s'épuise pas dans la communion entre époux, mais est destiné à se continuer en suscitant de nouvelles vies. " Le mariage et l'amour conjugal sont ordonnés par leur nature à la procréation et à l'éducation des enfants. De fait, les enfants sont le don le plus excellent du mariage et ils contribuent grandement au bien des parents eux-mêmes " (GS 50). » (HV9).

Le bien le plus précieux des époux, c’est l’amour conjugal. Les enfants, eux, sont un « don » et même le don le plus excellent du mariage ; mais, le bien primordial des époux, c’est leur amour ! « Vos enfants grandiront à la mesure de votre amour », disait Marthe Robin.

Comme moniteur Billings, je peux témoigner que le fait d’être toujours ouverts à la vie dans la pratique d’une méthode naturelle de régulation des naissances, donne aux conjoints une capacité d’amour supplémentaire, dans la mesure où c’est tous les jours que se pose la question de l’opportunité ou non d’accueillir un nouvel enfant, dans une responsabilité partagée de la fécondité, qui diffère radicalement de la contraception. Avec la contraception, la responsabilité repose pratiquement toujours sur les seules épaules de la femme, avec une tendance à éclipser la question de l’enfant. Vivre une méthode naturelle, c’est comme une seconde nature qui favorise un dialogue permanent, comme en témoigne Olivier et Xristilla Roussy, au synode sur la famille.

« Durant nos fiançailles, nous avions choisi de nous former à la régulation naturelle des naissances. Après l’arrivée du troisième enfant, j’étais épuisée. Nous n’arrivions plus à vivre paisiblement nos unions conjugales. Nous avons alors décidé que je prendrais une pilule contraceptive pour quelques mois. Ce choix de la contraception était censé nous apaiser ; il eut l’effet contraire. (…) Nous avions l’impression de ne plus être en vérité avec nous-mêmes. Nous n’étions plus unifiés. Nous avons compris que nous avions fermé une porte au Seigneur dans notre vie conjugale. Nous avons alors décidé de reprendre une régulation naturelle des naissances. C’est apparemment un chemin plus difficile qui nous invite à être continents lors des périodes fertiles alors même que nous désirons plus fortement nous unir. » Ce choix, les époux l’ont arrêté ensemble et le vivent à deux même si « c’est souvent dur à accepter et à choisir chaque fois. Bien plus qu’une méthode, ce mode de vie nous permet chaque jour de nous accueillir l’un l’autre, de communiquer, de nous connaître, de nous attendre, de nous faire confiance, d’être délicats. Nous avons choisi cette voie, nous ne la subissons pas et nous en sommes profondément heureux malgré les efforts qu’elle requiert. »

Nous avons fermé une porte au Seigneur… Dieu, source et de l’amour et de la vie, est la raison ultime des bienfaits d’une méthode naturelle. Ne nous arrêtons pas à la loi de Dieu – naturelle ou révélée - mais à Dieu lui-même ! Et ne nous arrêtons pas à la seule personne de Paul VI, mais à celui qui l’a envoyé : le Christ ! « Qui vous écoute m’écoute. Qui vous rejette me rejette ! Ce que tu auras lié sur la terre sera tenu pour lié dans le ciel. » Paul VI a lié l’union et la procréation. La contraception ? C’est une technique. Le recours aux méthodes naturelles de régulation des naissances, c’est une éthique, un éthos, une manière de vivre, qui trouve sa joie, une joie profonde, malgré les peines et les difficultés, en gardant ouverte la porte au Seigneur dans notre vie de couple et de famille. « En défendant la morale conjugale dans son intégralité, l'Eglise sait qu'elle contribue à l'instauration d'une civilisation vraiment humaine; elle engage l'homme à ne pas abdiquer sa responsabilité pour s'en remettre aux moyens techniques; elle défend par là même la dignité des époux. » affirme Paul VI (HV 18). Au n° 20, Humanae Vitae nous assure qu’observer la loi divine, c’est comme la SNCF, « c’est possible ! » Observation « difficile, et l’on peut même dire qu’elle ne serait pas observable sans l’aide de Dieu qui soutient et fortifie la bonne volonté des hommes ». Pour comprendre Humanae Vitae, de grâce, ouvrez la porte au Seigneur !

Humanae Vitae, un texte contesté. Du temps de Jean-Paul II, j’ai eu la chance d’écouter Mgr Van Thuan, emprisonné 13 ans au Vietnam, à cause de sa fidélité à l’Eglise catholique. Interrogé sur l’avenir de l’Eglise, il disait : « il faut l’unité ! Unité des évêques entre eux et unité avec le Pape, sinon ça sera très dur » ! La contestation la plus grave d’HV et la plus scandaleuse, c’est celle de conférences épiscopales, qui se sont publiquement opposées au Pape. Parmi ceux qui auraient dû faire preuve de collégialité, il y en eut peu qui se révélèrent disposés à se battre pour expliquer l’encyclique. La contestation est aussi venue de scientifiques catholiques de renom (l’un deux fut membre de la commission) devenus les pionniers du mouvement bioéthique aux Etats-Unis, mouvement qui domine aujourd'hui les discussions bioéthiques à l'échelle de la planète. Dès le début, la bioéthique est une discipline qui s'est construite en opposition frontale à l'enseignement de l'Eglise en flinguant , son universalité et son immutabilité. La contestation s’est poursuivie jusque dans les séminaires et les facultés de théologie sous la forme du dissentiment théologique pointé du doigt par Jean Paul II en 1993 dans son encyclique Veritatis Splendor. Où il reprend les fondements même de la morale, mise à mal de façon globale et systématique. Aujourd’hui, la crise ouverte par Humanae vitae ne s’est pas refermée...

Humanae Vitae, un texte prophétique. En publiant HV, Paul VI est allé à contre-courant du mouvement contestataire des années 60 et contre l’avis majoritaire de la commission d’études, favorable à la contraception. On a reproché au pape et on continue de lui reprocher de ne pas avoir suivi l’avis de la majorité de la commission. Sur ce sujet, le cardinal Heenan, archevêque de Westminster, pro-président de la Commission finale, répond clairement dans une lettre, lue dans les églises le dimanche 4 août 1968. Je cite : « Aucun membre de la commission ne pensait que nous pourrions résoudre le problème par un vote de majorité. On nous demandait de chercher des informations et de présenter au pape ce que nous trouvions. Il a toujours été entendu que la décision viendrait de lui seul, comme Vicaire du Christ. La loi de Dieu ne peut se décider par un vote à la majorité. » En réalité, c’est « en vertu du mandat que le Christ lui a confié » (HV 6) que le pape s’est prononcé ! Non comme porte-parole d’une commission consultative !

Les tenants de la majorité réclamaient que la morale conjugale soit envisagée dans la perspective d’une ouverture globale du couple à la vie et non plus centrée sur la considération de la soumission de chaque acte sexuel à une conception éventuelle. Pour eux, le recours à la contraception peut être admis du moment que le couple s’inscrit dans un projet d’ensemble d’ouverture à la vie. Le courant minoritaire, lui, prônait le maintien de la position de l’Eglise sur le refus de la contraception en référence à la Tradition, constamment réaffirmée par le Magistère et sur laquelle il n’est pas possible de revenir sans mettre à mal la continuité et donc l’autorité même du Magistère. « Même avec la femme légitime, l'acte conjugal devient illicite et honteux dès lors que la conception de l'enfant y est évitée. C'est ce que faisait Onan, fils de Judas, raison pour laquelle Dieu l'a mis à mort. [C’est pourquoi], tout usage du mariage, dans l'exercice duquel l'acte est privé, par l'artifice des hommes, de sa puissance naturelle de procréer la vie, offense la loi de Dieu et la loi naturelle. » Voilà ce que disait le pape Pie XI, en 1930, dans son encyclique Casti Conubii. Si Paul VI dément l’enseignement de Pie XI, alors c’en est fini de la crédibilité du Magistère ! Car si deux papes se contredisent, lequel des deux a raison ? Sur un point capital qui touche aux mœurs…

Au terme de la dernière session de 1966, le rapport remis au Pape, majoritairement favorable à la contraception, a été transmis à la presse avec les résultats des délibérations – résultats qui auraient du rester confidentiels – dans le but de faire pression sur le pape. Paul VI n’a pas cédé, mais a été contraint de réagir rapidement pour ne pas laisser se répandre la rumeur d’un possible et même probable changement de position de l’Eglise à l’égard de la contraception.

« On ne dira probablement jamais assez combien sa décision de maintenir la continuité de la Tradition et de la doctrine de l’Eglise sur la contraception, fut un acte héroïque de gouvernement. Il n’empêche que Humanae Vitae a été un texte élaboré dans l’urgence (…) et qu’une question d’une telle importance et d’un tel retentissement potentiel méritait d’être assise sur des attendus anthropologiques davantage développés. » (Yves Semen, introduction à La théologie du corps de Jean-Paul II, cerf, 2014, p69-70).

Ce sera tout le travail du Pape Jean Paul II qui développera les fondements anthropologiques justifiant les normes morales énoncées par l’encyclique, dans ses catéchèses du mercredi du 5 septembre 1979 au 28 novembre 1984, avec ce qu’il appelle la théologie du corps.

Humanae Vitae, prophétique. Il faut lire l’intégralité du n° 17 sur les graves conséquences de la contraception ;


  • - boulevard ouvert à l'infidélité conjugale, abaissement général de la moralité. Prophétique ?
  • - Risque de voir la femme ravalée au rang d’objet, de simple instrument de jouissance égoïste. Prophétique ? Le Canard enchainé semble le confirmer dans sa livraison du mercredi 4 février 2015 : « L’amour est aujourd’hui « malade » : le déni du sexe au profit du genre et la prévalence de la jouissance sur l’amour nous mènent vers une société unisexe sans amour. » (Dany-Robert Dufour, auteur d’un livre intitulé Le délire occidental et ses effets actuels dans la vie quotidienne). Paul VI avait raison !

Paul VI était prophète en adressant un appel pressant aux pouvoirs publics de ne pas laisser la moralité de leur peuple se dégrader.

« Qu'on réfléchisse aussi à l'arme dangereuse que l'on viendrait à mettre ainsi aux mains d'autorités publiques peu soucieuses des exigences morales. Qui pourra reprocher à un gouvernement d'appliquer à la solution des problèmes de la collectivité ce qui serait reconnu permis aux conjoints pour la solution d'un problème familial ? Qui empêchera les gouvernants de favoriser et même d'imposer à leurs peuples, s'ils le jugeaient nécessaire, la méthode de contraception estimée par eux la plus efficace ? Et ainsi les hommes, en voulant éviter les difficultés individuelles, familiales ou sociales que l'on rencontre dans l'observation de la loi divine, en arriveraient à laisser à la merci de l'intervention des autorités publiques le secteur le plus personnel et le plus réservé de l'intimité conjugale. Si donc on ne veut pas abandonner à l'arbitraire des hommes la mission d'engendrer la vie, il faut nécessairement reconnaître des limites infranchissables au pouvoir de l'homme sur son corps et sur ses fonctions; limites que nul homme, qu'il soit simple particulier ou revêtu d'autorité, n'a le droit d'enfreindre. Et ces limites ne peuvent être déterminées que par le respect qui est dû à l'intégrité de l'organisme humain et de ses fonctions, selon les principes rappelés ci-dessus et selon la juste intelligence du " principe de totalité " exposé par Notre prédécesseur Pie XII. » (HV17)

Au risque d’explosion démographique annoncé dans les années 60 succède aujourd’hui le suicide démographique de l’Occident. Le cardinal Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, décèle « un signe d’un manque de confiance dans la vie et d’espérance dans l’avenir. Beaucoup ne veulent plus risquer de mettre au monde des enfants » car « pour eux l’avenir est devenu tellement incertain qu’il les pousse à se demander, avec préoccupation, comment il est possible d’exposer une nouvelle vie à un avenir perçu comme inconnu ».

Un dernier point : « l’apostolat des foyers », que Paul VI situe « dans le cadre de l’apostolat des laïcs, comme un des fruits les plus précieux du généreux effort de fidélité à la loi divine ; quand les conjoints éprouvent le désir de communiquer à d'autres leur expérience. » Mon épouse et moi sommes Moniteurs Billings. Heureux de pratiquer cette méthode et de la transmettre !

Aujourd’hui, le pape François nous invite à redécouvrir l’encyclique Humane Vitae. Avec le bienheureux Pape Paul VI, entrons dans la joie de l’amour authentique et l’espérance d’entrer avec lui dans la vie éternelle !

Christian Ratrema, diacre, médecin et moniteur Billings

Post Scriptum : L’encyclique est un texte court, qui compte 31 numéros. Il y a trois parties. 1) Les aspects nouveaux du problème et la compétence du Magistère. 2) Les principes doctrinaux. 3) Les directives pastorales.

Dans son appel final, le saint Père dit sa conviction que « l'homme ne peut trouver le vrai bonheur, auquel il aspire de tout son être, que dans le respect des lois inscrites par Dieu dans sa nature et qu'il doit observer avec intelligence et amour. » (HV31)

Aucun commentaire